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Les Scop ont le vent en poupe

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Appaloosa, agence de communication dans le Finistère, a été rachetée à son fondateur par ses salariés en 2009. PHOTO : © Appaloosa

« Lorsque le fondateur de notre agence est parti à la retraite, il a suggéré que les salariés reprennent l’entreprise en Scop (société coopérative de production). Cela nous a plu de penser qu’on allait devenir nos propres patrons, prendre les décisions importantes ensemble et partager les fruits de notre travail à la fin de l’année », raconte Bertrand Le Coq. Alors chef de projet, celui-ci est depuis devenu le gérant, élu par ses pairs, de la Scop Appaloosa, une agence de communication basée à Plouigneau, dans le Finistère.

Plus de 2 200 Scop en France

L’entreprise de six salariés a été rachetée à son fondateur en 2009. Sept ans plus tard, la Scop Appaloosa en compte onze, dont sept sont associés*. « L’identité Scop est extrêmement importante à nos yeux, insiste Bertrand Le Coq. Dès l’entretien de recrutement, nous parlons à nos futurs salariés de notre statut, pour être sûrs que cela leur correspond et qu’ils joueront le jeu. Ensuite, au quotidien, nous transmettons beaucoup d’informations aux salariés, qu’ils détiennent des parts sociales* de la Scop ou non. Tous les mois, nous organisons également une réunion avec tous les ­salariés-associés, où nous arbitrons collectivement sur les choix importants pour l’agence : décisions d’investissement, de recrutement, d’organisation du travail… »

Le capital de l’entreprise doit être détenu majoritairement par les salariés

En 2016, on dénombre plus de 2 200 Scop en France, dans des domaines d’activité très variés comme la communication, le bâtiment, l’industrie, le commerce, l’énergie ou encore les médias avec Alternatives Economiques. Ce statut impose plusieurs spécificités. D’abord, le capital de l’entreprise doit être détenu majoritairement par les salariés. D’éventuels associés ­extérieurs ne peuvent donc pas prendre le contrôle de l’entreprise.

Deuxième principe : la lucrativité des Scop est limitée. Comme pour toute entreprise, l’objectif est bien d’équilibrer les comptes et de faire du bénéfice. Mais ces bénéfices ne sont pas distribués de la même manière qu’ailleurs : au moins 25 % des résultats doivent être reversés à l’ensemble des salariés sous forme de participation ; la redistribution sous forme de dividendes versés aux associés (majoritairement des salariés) ne peut dépasser 33 % des résultats ; et au moins 16 % des bénéfices doivent être réinvestis dans l’entreprise, sous forme de « réserve impartageable » qui ne peut être utilisée à d’autres fins que celle d’assurer la pérennité de la Scop.

Enfin, l’entreprise fonctionne selon le principe « une personne, une voix » : chaque associé dispose d’une voix à l’assemblée générale (AG) des actionnaires de la Scop, quel que soit le nombre de parts sociales qu’il détient. Dans le cas des Scop créées sous forme de société à responsabilité limitée (SARL), le gérant est élu par l’AG ; dans les Scop créées sous la forme de société anonyme (SA), le président est élu par le conseil d’administration, lui-même élu par l’AG.

Chaque structure s’en empare à sa manière

« Ce mode de fonctionnement implique, pour instaurer la confiance, que les équipes dirigeantes soient extrêmement transparentes et organisent la discussion avec tous avant de prendre des décisions stratégiques », souligne Jacques Landriot, le nouveau président de la Confédération générale des Scop (CG Scop). Ces exigences de transparence ne vont cependant pas de soi, notamment parce qu’elles impliquent d’y consacrer beaucoup de temps. Chaque structure s’en empare à sa manière et les met en œuvre d’une façon plus ou moins aboutie.

Au Cedaet, cabinet d’expertise auprès des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), on a poussé la logique particulièrement loin. Dans cette Scop créée en 1988, « la gérance est assurée par un binôme, et ce de manière tournante », expliquent Anne Vallée et Hénédi Boulaabi, salariées-associées de la Scop. Les deux cogérants sont donc élus pour un mandat de trois ans et chacun des onze salariés devra assumer ce mandat un jour. Par ailleurs, les choix importants sont pris collectivement, notamment les augmentations de salaires, selon le principe que tous les salariés ayant le même niveau de responsabilité touchent le même salaire.

Tous les salariés ayant le même niveau de responsabilité touchent le même salaire

« Ainsi, dans le but d’améliorer nos conditions de travail, nous avons décidé d’augmenter nos effectifs et de geler les salaires, de manière à mieux répartir la charge de travail, notent Anne Vallée et Hénédi Boulaabi. Nous avons également fait le choix d’investir dans des locaux centraux et agréables, à Paris, qui nous coûtent plus cher mais optimisent les temps de trajet de chacun. ».

Un turn-over plus faible

« Ce souci du bien-être au travail est un atout essentiel des Scop », souligne Jacques Landriot, qui a aussi dirigé pendant plus de vingt ans l’une des principales Scop en France, le Groupe Up, anciennement Chèque Déjeuner. Ce qui a un effet non négligeable sur la performance des entreprises : les salariés des Scop sont généralement plus impliqués dans leur travail et plus motivés. Par conséquent, le turn-over y est souvent assez faible.

« Ce souci du bien-être au travail est un atout essentiel des Scop »

C’est ce qu’a pu constater Olivier Crus, PDG de la Scop Reprotechnique. En 2013, cette société d’impression numérique, alors sous statut classique, avait dû déposer le bilan suite à une mésentente entre ses deux ­actionnaires, des groupes étrangers. Olivier Crus était alors directeur général de l’entreprise. Un ami lui suggère une reprise en Scop, statut dont il n’avait jamais entendu parler. L’entreprise se relance donc avec 66 salariés, dont 45 associés qui acceptent d’y investir chacun 500 euros.

Elu PDG, Olivier Crus met en place une nouvelle stratégie commerciale élaborée avec son équipe. Trois ans après, Reprotechnique réalise 7,5 millions d’euros de chiffre d’affaires et est redevenue bénéficiaire. « Collectivement, nous avons su trouver des recettes qui fonctionnent, parce que chacun a pu apporter un bout de la solution, souligne Olivier Crus. Avant, mes actionnaires me donnaient des consignes et des objectifs de rentabilité que je devais atteindre coûte que coûte. Aujourd’hui, nous nous fixons nous-mêmes notre budget et nos objectifs, et nous discutons ensemble de la meilleure manière de les atteindre, dans l’intérêt du collectif.

Une pérennité plus élevée

Les coopératives ne sont évidemment pas préservées des difficultés que traverse tel ou tel secteur de l’économie. Elles ont cependant une pérennité plus élevée que la moyenne : 65 % des Scop existent encore cinq ans après leur création, contre 50 % pour l’ensemble des entreprises.Comment expliquer, dans ces conditions, que les Scop ne soient pas plus nombreuses aujourd’hui ?

Pour Jacques Landriot, les raisons sont simples : « Il faut accepter de monter une entreprise collective et de n’en tirer aucun enrichissement personnel, ce qui ne va pas de soi. Les Scop forment avant tout un réseau de militants engagés pour le collectif, et cela limite forcément le développement de notre modèle. » Par ailleurs, la démocratie limite l’agilité entrepreneuriale et peut rendre difficile l’adaptation aux difficultés. La mobilisation de capitaux extérieurs et l’internationalisation sont également difficiles pour les Scop, et de fait très peu d’entre elles ont réussi ce défi. 

Risque d’épuisement au travail

Enfin, l’atout que constitue l’implication des salariés dans l’entreprise peut aussi se révéler à double tranchant : risque d’épuisement au travail, pression à s’investir encore davantage… Le phénomène n’épargne pas l’économie sociale et solidaire (ESS) dans son ensemble, en particulier les petites structures qui tiennent d’abord grâce à l’énergie qu’y mettent leurs membres.

L’avenir des Scop dépend en grande partie des jeunes générations 

De fait, les Scop sont aujourd’hui majoritairement des entreprises de petite taille : elles comptent en moyenne 21 salariés. Moins de vingt Scop emploient plus de 300 personnes, et seule une dizaine réalise un chiffre d’affaires supérieur à 25 millions d’euros 1. « Cela est notamment lié à la prudence des dirigeants, qui ont la responsabilité d’une entreprise collective sur les épaules, et hésitent à prendre des risques pour se développer », analyse Jacques ­Landriot. Mais il constate aussi que, dans un contexte de crise, les jeunes sont de plus en plus sensibles aux valeurs portées par les Scop et l’ESS en général 2. « Il faut nous appuyer davantage sur eux, leur faire confiance, estime-t-il. Car l’avenir des Scop dépend en grande partie des jeunes générations et du renouvellement des équipes dirigeantes, qui doivent accepter de leur faire de la place. »

  • 1. Parmi elles, citons le Groupe Up (Chèque Déjeuner), mais aussi Acome (première Scop de France, avec plus de 400 millions d’euros de chiffre d’affaires, voir « Acome, le succès de la fibre coopérative », Alternatives Economiques n° 304, juillet 2011, disponible dans nos archives en ligne), Syndex, UTB, Les maçons parisiens, etc
  • 2. Novembre est le Mois de l’économie sociale et solidaire, au cours duquel est organisée une série d’événements sur l’ESS à travers la France, dont Les journées de l’Economie autrement, organisées les 25 et 26 novembre à Dijon, par Alternatives Economiques.

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Commentaires (1)
PHILIPPE 20/11/2016
La meilleure situation pour la creation d'une SCOOP, est la reprise d'une entreprise dont le dirigeant prend sa retraite. Le passage de temoin peut se faire en douceur en gardant la confiance de ses clients ( element primordial de la reussite). Par contre si c'est suite à un depot de bilan / liquidation judiciaire, les obstacles sont nombreux ( les clients n'ont plus confiance et s'adressent à un autre fournisseur, entreprises desorganisées par des departs,...) et les echecs aussi.Les SCOOP sont une solution mais pas la panacée pour des entreprises en difficulté.
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